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fie le génie le plus malheureux et le plus envieux d’y trouver rien qui puisse offenser la fierté la plus susceptible, la majesté la plus hautaine ; dans ma plus grande familiarité avec vous, il n’y a pas eu de quoi alarmer une feuille de sensitive ou de mimosa. Ainsi, ce ne peut être là le motif qui vous a fait fuir comme frappée d’une terreur panique. Je suis jeune, ardent, impétueux, je n’attache aucun prix à certaines conventions sociales, mais je suis sûr que je n’ai jamais manqué à la sainte pudeur de l’amour, au religieux respect de la beauté ; — je vous aime, je n’ai pu vous offenser ; ce qui n’était ni dans ma tête ni dans mon cœur, comment mes yeux et ma bouche l’auraient-ils exprimé ! S’il n’y a pas de feu sans fumée, il n’y a pas non plus de fumée sans feu !

Ce n’est pas cela. — Est-ce un caprice, une coquetterie ? Vous avez l’esprit trop sérieux et l’âme trop honnête ; et d’ailleurs, quel serait votre but ? Ces cruautés félines sont bonnes pour des femmes du monde blasées que ravive le spectacle des tortures morales, et qui se donnent, dans une sphère invisible, des fêtes d’impératrices romaines où des cœurs palpitants sont déchirés par les griffes des bêtes fauves de l’âme, les désirs effrénés, les haines inassouvies et les jalousies savamment excitées jusqu’à la rage, toute la meute hideuse des mauvaises passions. — Louise, vous n’avez pas voulu jouer ce jeu-là avec moi. Il serait inutile, féroce et dangereux.

Quoique j’aie été élevé dans ce qu’on appelle le monde, je suis resté sauvage au fond ; je puis parler comme un autre de politique, de chemins de fer, d’économie sociale, de littérature ; j’imite assez bien les gestes civilisés ; mais, sous le vernis des gants blancs, j’ai gardé la violence et la simplicité de la barbarie. — Si vous n’avez pas quelque raison sérieuse, souveraine, inéluctable, — non pas une de ces raisons banales dont se paie la tiédeur des amants ordinaires, — ne prolongez pas mon supplice d’un jour, d’une heure, d’une minute. Ne me parlez ni de réputation,