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loyal ; ajoutez qu’il est à cette heure l’homme de France qui a vu en sa vie le plus de tigres et de postillons. J’observerai scrupuleusement ce que dix années de voyages ont pu amener de changement dans sa manière de voir et de sentir ; mais je crois pouvoir affirmer d’avance que dans cette franche nature je ne découvrirai rien qui puisse justifier la fuite de l’étrange et belle héritière.

Tous mes respectueux hommages à vos pieds.

Raymond de Villiers.


XXII


À MONSIEUR
MONSIEUR LE COMTE DE VILLIERS
À PONT-DE-L’ARCHE (EURE)


Rouen, 10 juillet 18…

Bien rarement, dans la vie, on reçoit les lettres qu’on attend ; on reçoit bien souvent les lettres qu’on n’attend pas. Les premières vous apprennent toujours les choses qu’on sait ; les secondes vous apprennent toujours les choses qu’on ignore. L’homme de cœur et de philosophie ne doit désirer que les secondes : celles qu’on n’attend pas.

Voici donc la première de ces secondes que vous recevez, mon jeune ami.

J’ai passé quelques heures à Richeport avec vous et Edgard, et j’ai fait une découverte que vous aviez faite avant moi, et une réflexion que vous ferez après moi. Dix ans de voyage vieillissent. J’ai soixante ans, à mon âge, et vous en avez vingt-cinq, comme votre acte de naissance. Que vous êtes heureux de recevoir des conseils ! Que je suis malheureux d’en donner, sous mes cheveux noirs que l’expérience a oublié de blanchir à trente ans !

J’ai d’ailleurs un vague pressentiment que mes conseils vous porteront bonheur, si vous les suivez. Il ne faut pas négliger un pressentiment. Chaque homme porte en lui une étincelle d’un rayon de Dieu : c’est souvent le flam-