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Cette fois je ne vous parle pas de vous, ma chère Valentine, ni de notre vieille amitié ; mais chaque mot de cette lettre n’est-il pas une tendre parole d’amie ? Je vous raconte sans efforts toutes ces naïves histoires du cœur, si folles, qu’on n’oserait même pas les avouer à une mère ; n’est-ce pas vous dire : Vous êtes la sœur de mon choix ? J’embrasse ma petite filleule Irène. Oh ! qu’elle a bien raison de devenir si jolie.

Irène de Châteaudun.


XX


À MONSIEUR
MONSIEUR DE MEILHAN
À RICHEPORT,
PAR PONT-DE-L’ARCHE (EURE).


Paris, 8 juillet 18…

Cher Edgard, notre sexe a inventé la stupidité. Lorsqu’une femme nous trahit ou nous abandonne, forfaits synonymes, nous sommes assez bons pour prolonger à l’infini notre désespoir, au lieu de chanter avec Métastase :

Grazie all’ inganni tuoi
Alfin respir’ o Nice !

Hélas ! voilà l’homme ! les femmes sont plus fières que nous. Si j’avais abandonné mademoiselle de Châteaudun, à coup sûr elle ne soulèverait pas à ma poursuite l’ignoble poussière des grands chemins. Je crains bien qu’il n’y ait un fort levain d’amour-propre dans la lave de nos passions viriles. L’amour-propre est le fils aîné de l’amour. Je me développerai cette théorie en temps opportun : il faut être calme pour philosopher. Aujourd’hui je suis obligé à continuer ma folie, en suppliant la raison de m’attendre à mon retour.