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j’oserai vous le dire si vous daignez m’y autoriser. On m’appelle don Quichotte, parce que je suis une espèce de fou, un original, un enthousiaste passionné de toutes les nobles et saintes choses, un ennemi acharné de toutes les félonies à la mode, un rêveur de belles actions, un défenseur d’opprimés, un pourfendeur d’égoïstes ; — parce que j’ai toutes les religions, même celle de l’amour ; je pense qu’un homme aimé doit se respecter lui-même, par respect pour la femme qui veut bien l’aimer ; que dans tous les moments de sa vie il doit songer à elle avec ferveur, éviter tout ce qui pourrait lui déplaire et se conserver pour elle, même en son absence, même à son insu, toujours séduisant, toujours aimable, je dirais amourable si le mot était admis ; un homme aimé, selon mes ridicules idées, est une sorte de dignitaire ; il doit dès lors se comporter un peu en idole et se diviniser le plus possible ; — parce que j’ai aussi la religion de la patrie, j’aime mon pays comme un vieux grognard de la vieille garde… mes amis me disent que je suis un véritable Français de vaudeville, je leur réponds qu’il vaut mieux être un véritable Français de vaudeville que d’être comme eux de faux Anglais d’écurie ; — ils m’appellent preux chevalier parce que je me moque d’eux quand ils médisent des femmes dans leur grossier langage ; je leur conseille de se taire et de cacher leurs mécomptes ; je leur dis que tant de mauvais choix ne font pas honneur à leur goût, que cela prouve qu’ils ne s’y connaissent pas ; que moi j’ai été plus heureux, que les femmes auxquelles je me suis adressé étaient toutes bonnes et parfaites, qu’elles m’ont toutes fort bien traité et que je n’ai jamais eu à me plaindre d’elles. — On m’appelle don Quichotte, parce que j’aime la gloire et tous ceux qui ont la bonhomie de la chercher ; parce qu’à mes yeux il n’y a de réel que les chimères, d’important que les fumées ; — parce que je comprends tous les désintéressements inexplicables, toutes les démences généreuses ; parce que je comprends que l’on vive