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voulu nommer mademoiselle de Chantverdun… Vous comprenez maintenant ma gaieté folle… Mademoiselle de Chantverdun est chanoinesse ; elle a lu votre billet et elle a voulu se donner, au moins une fois dans sa vie, le bonheur de pousser un cri d’effroi, et de s’évanouir devant un billet amoureux. Venez donc, monsieur, — ajouta madame de Lorgeval en riant, et m’entraînant vers le perron ; venez donc faire vos excuses à mademoiselle de Chantverdun, qui a repris ses sens, et qui m’a envoyé à son rendez-vous.

Involontairement, cher Edgard, je fis ce court monologue mental, dans la forme des exclamations si fréquentes chez les anciens romanciers. Ô tendre amour ! passion pleine d’ivresse et de tourments amour qui tues et ressuscites ! quel vide affreux tu dois laisser dans la vie, lorsque l’âge t’exile de notre cœur !

Cela veut dire que je ressuscitais aux dernières paroles de madame de Lorgeval.

Quelques instants après, je m’inclinai avec un respect modéré devant mademoiselle de Chantverdun, et je lui fis des excuses si adroites, qu’elle fut enchantée de moi. Mon bonheur m’avait rendu mon sang-froid. Mon genre de respect et d’excuses réjouit secrètement cette pauvre demoiselle. Il fallait lui laisser croire que ce quiproquo ne devait être attribué uniquement qu’à une conformité apparente de noms ; et que l’âge de mademoiselle de Chantverdun n’avait rien à démêler dans tout cela. Cette nuance était difficile à saisir dans sa délicatesse exquise. J’ai mérité l’approbation de madame de Lorgeval.

Nous avons passé une demi-journée charmante. J’ai retrouvé ma première gaieté, si compromise dans ces derniers orages. Le soleil tombait à l’horizon, quand je quittai le château.

Cher Edgard, cette fois mes conjectures et mes pressentiments ne me trompent point. Mademoiselle de Châteaudun m’impose une longue épreuve. C’est évident plus que