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— Ah ! vous le connaissez !… mon frère Léon de Varèzes et sa femme…

Mon bras eut une convulsion nerveuse si violente que madame de Lorgeval en subit le contre-coup, et s’effraya. Je me hâtai de me rendre une apparence de sang-froid, et je lui dis, d’un ton visant péniblement au naturel :

— Et sa femme… madame de Varèzes… Ah ! je ne savais pas que M. de Varèzes fût marié.

— Mon frère est marié depuis un mois, me dit madame de Lorgeval d’un air soucieux, il a épousé mademoiselle de Bligny.

— Êtes-vous bien sûre de cela, madame ?

Cette interrogation fut faite avec un accent et un visage qui feraient le désespoir d’un peintre et d’un musicien, fussent-ils Rossini ou Delacroix.

Madame de Lorgeval, effrayée une seconde fois de mes convulsions brutales, me regarda fixement, et je vis courir sur son visage cette pensée de commisération : Ce pauvre jeune homme est fou !

À coup sûr, en ce moment, la sagesse ne brillait pas sur ma figure et ne résonnait pas dans ma voix.

— Vous me demandez, monsieur, si je suis sûre que mon frère soit marié ? me dit madame de Lorgeval avec un étonnement pétrifié, c’est sans doute une plaisanterie ?

— Oui, oui, madame, dis-je avec une exubérance de gaieté ivre, c’est une plaisanterie… Alors, je comprends tout, je devine tout… c’est-à-dire je ne comprends rien ; mais votre frère, cet excellent Léon de Varèzes, est marié ; cela me suffit… Un très-beau jeune homme !… Je crois pourtant deviner, madame, que vous avez ouvert mon billet sans lire l’adresse, ou bien que vous venez me parler au nom de mademoiselle de Châteaudun.

— Mademoiselle de Châteaudun n’est pas ici… Le fou rire va me ressaisir… Le jardinier a remis votre billet à une demoiselle de notre société… une jeune personne de soixante-quinze ans, et que le plus étrange des hasards a