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Voilà des gens bien heureux !

Au reste, je ne vais aux renseignements que pour amuser mes dix minutes de relais. Je suis fixé. La police est infaillible. Tout va se dénouer au château de Lorgeval.

J’arrête ma chaise de poste à cent pas de la grille ; je m’avance seul en me faisant éclipser par les grands arbres de l’avenue, et, en ménageant une éclaircie à travers les massifs du parc, j’examine en détail les environs du château.

C’est une maison énorme et symétrique. Une maçonnerie à quatre angles, lourdement coiffée d’un toit d’ardoises sombres, avec une girouette invalide, révoltée contre le vent, et qui ne tourne plus. Les façades sont percées d’une profusion de fenêtres, toutes éplorées à leur base et gardant les traces des pluies d’hiver. Un perron moderne à double escalier, décoré de quatre vases inhumant quatre tiges d’aloès empaillés, se déploie avec lourdeur au pied du château.

Dans ce luxe extérieur, on reconnaît le bon goût du beau Léon.

J’attends l’ombre d’un vivant… rien ne se dessine au soleil. Aucune silhouette humaine ne se croise avec l’ombre tranquille des arbres.

Un chien maudit, et plus ennemi de l’homme que toute sa race, aboie dans ma direction et fait de violents efforts pour rompre son nœud et courir vers des émanations étrangères et suspectes. Pauvre animal, qui joue au tigre ! Je lui souhaite un nœud gordien s’il veut voir le coucher du soleil.

Enfin, un jardinier honoraire vient animer ce paysage sans jardin, et descend l’avenue avec la nonchalance d’un travailleur payé par le beau Léon.

J’ai l’habitude de découvrir sur les figures graves celles qui sourient devant une pièce d’or.

Le jardinier passa devant moi, et quand il m’eut donné le sourire prévu, je lui dis : C’est bien là le château de madame de Lorgeval ?