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pecte sa mère ; elle veille sur moi. S’il le faut, je lui dirai tout… Elle parle quelquefois de mademoiselle de Châteaudun avec bienveillance, elle me défend… Que j’ai ri ce matin, tout bas ! J’ai appris que M. de Monbert s’était adressé délicatement à la police pour savoir mon sort, et que la police l’avait envoyé me rejoindre en Bourgogne !… Qu’est-ce qui a pu lui faire croire que j’étais là ? chez qui va-t-il me chercher ? et qui va-t-il trouver à ma place ? Eh ! mais, j’y serai peut-être bientôt, si ma cousine veut prendre la route de Mâcon. Elle ne sera prête à partir que la semaine prochaine. Qu’il me tarde de vous revoir ! N’allez pas à Genève sans moi.

Irène de Châteaudun.


XVIII


À MONSIEUR
MONSIEUR DE MEILHAN
À PONT-DE-L’ARCHE (EURE).


Paris, 2 juillet 18…

Croyez-vous, cher Edgard, qu’il soit facile de vivre quand l’âge de l’amour est passé ? Vraiment, il faudrait pouvoir aimer jusqu’à la mort pour mourir sans peine et vivre avec charme. Quel jeu séduisant ! que de chances imprévues ! que de loisirs ardemment occupés ! Chaque journée a son histoire particulière ; on se la raconte chaque soir ; on établit des conjectures sur l’histoire du lendemain. La réalité détruit la prévision de la veille. On se réjouit, on se désespère de ses erreurs. On est abattu, on est relevé, on meurt, on ressuscite. Pas un atome chez soi pour loger l’ennui.

L’autre matin, à neuf heures, j’arrive à l’hôtel de la Poste, à Sens. Une halte de dix minutes. Je questionne tous les gens de service de la maison. Ils ont tous vu passer beaucoup de jeunes femmes de l’âge, de la taille et de la beauté de mademoiselle de Châteaudun.