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un moyen de me parler et d’arriver à me connaître ; — l’inquiétude de cette mère passionnée était pour moi un langage qui m’en apprenait plus sur la sincérité des sentiments de son fils que toutes les phrases d’amour qu’il aurait pu me débiter pendant des années. C’est un symptôme irrévocable que celui-là : l’inquiétude d’une mère ; il est plus significatif que tous les autres ; la jalousie d’une rivale est un indice moins certain ; l’amour ombrageux peut se tromper ; l’instinct maternel ne se trompe point. Or, pour qu’une femme de l’esprit et du caractère de madame de Meilhan fût venue à moi, tremblante, agitée, comme je la voyais en ce moment, il fallait… je vous le dis sans vanité, il fallait que son fils eût la tête perdue, et qu’elle voulût à tout prix guérir ou éteindre le fatal amour qui le rendait si malheureux.

Quand elle se leva pour partir, je lui demandai de vouloir bien me permettre de l’accompagner jusqu’à Richeport elle était encore trop souffrante pour aller seule si loin ; elle saisit cette occasion de m’emmener avec un empressement remarquable. Le long du chemin, nous causions de choses indifférentes, mais peu à peu ses inquiétudes se dissipaient, cette conversation semblait avoir ôté de dessus son cœur un poids énorme. Il arrivait que, malgré elle, la vérité lui parlait, et elle parle toujours, la vérité, malheureusement on ne l’écoute pas toujours ; à mes manières, au son de ma voix, à ma politesse respectueuse, mais digne, qui ne ressemblait en rien à l’empressement servile et obséquieux de madame Taverneau : car sa déférence très-humble était celle d’une inférieure pour sa supérieure, tandis que la mienne était celle d’une jeune femme pour une mère de famille et rien de plus ; à ces nuances insignifiantes pour tout le monde, mais révélatrices pour un coup d’œil exercé, madame de Meilhan d’abord devina tout, c’est-à-dire que j’étais son égale par le rang, par l’éducation et par la noblesse de l’âme. Elle ne le savait pas, elle le sentait. Cela admis,