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XV


À MONSIEUR
MONSIEUR DE MEILHAN
À PONT-DE-L’ARCHE (EURE).


Paris, 19 juin 18…

On a beau médire de la police, il faut toujours avoir recours à elle dans les grandes occasions. La police est partout ; elle sait tout ; elle peut tout ; elle voit tout. Sans la police, Paris n’existerait pas ; c’est la fortification intérieure, l’enceinte continue invisible de la capitale ; des agents nombreux en sont les forts détachés. Fouché a été le Vauban de ce merveilleux système, et, depuis Fouché, l’art se perfectionne toujours. Il y a aujourd’hui, dans un coin ténébreux de la Cité, un œil qui rayonne sur nos cinquante-quatre barrières, et une oreille qui entend les pulsations de toutes les rues, ces grandes artères de Paris.

Désespéré de ne rien découvrir à cause de l’insuffisance de mes facultés, je me suis adressé au Polyphème de la rue de Jérusalem, géant dont l’œil surveille tous les Ulysses, et n’est jamais crevé. On m’a dit dans ses bureaux : — Repassez dans trois jours.

Encore trois siècles que j’ai dévorés ! quelle consommation de siècles je fais depuis un mois !

Pourquoi cette lumineuse idée m’est-elle venue si tard ?

Au bureau des secrets publics, on m’a dit Mademoiselle de Châteaudun a quitté Paris, il y a cinq jours. Le 12, elle a passé la nuit à Sens ; elle a suivi la route de la Bourgogne elle a changé de chaise de poste à Villevallier, et le 14, elle s’est arrêtée au château de madame de Lorgeval, à seize kilomètres d’Avalon (Yonne).

Cette exactitude de renseignements bouleverse l’imagination. Quels ressorts ! quels rouages ! quel mécanisme intelligent ! C’est la machine de Marly appliquée à un fleuve humain. À Rome, on eût fait de la Police une déesse, avec une niche spéciale au Panthéon.

Quelle leçon aussi ! comme cela doit nous rendre cir-