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pour qu’une femme incline, en rougissant, son front sur l’épaule d’un jeune homme !

Mon ardente contemplation la fascinait ; elle restait immobile sous mon regard. Je sentais moi-même jaillir par mes prunelles ma pensée en jets de feu ; ses paupières s’abaissaient invinciblement, ses bras se dénouaient, sa volonté s’affaissait devant la mienne ; se sentant à demi vaincue, par un suprême effort elle mit sa main sur ses yeux, et resta quelques minutes ainsi pour se soustraire aux rayonnements de mon désir.

Quand elle eut un peu repris possession d’elle-même, elle tourna la tête du côté du rivage et me vanta le charmant effet d’une chaumière placée dans un groupe d’arbres et voisinant avec la rivière par des escaliers chancelants en planches, en piquets, d’une dégradation moussue et fleurie la plus pittoresque du monde. — Une délicieuse aquarelle d’Isabey jetée là sans signature. — Louise, car un art, si humble qu’il soit, agrandit toujours l’âme, a le sentiment des beautés de la nature qui manque à presque tout son sexe. — Le site qui plaît le mieux aux femmes, c’est une jardinière remplie de fleurs, et encore cet amour des fleurs n’est-il pas sincère la plupart du temps, et ne leur sert-il qu’à pousser les hommes d’âge à des comparaisons anacréontiques et surannées.

Les rives de la Seine, en effet, sont ravissantes. Les collines se déroulent en lignes gracieuses, pommelées d’arbres, zébrées de cultures ; quelquefois la roche perce la mince couche de terre et fait des apparitions pittoresques ; les cottages et les châteaux lointains se trahissent par le miroitement de leurs combles d’ardoise ; des îles aussi sauvages que celles de la mer du Sud sortent du sein des eaux, comme des corbeilles de verdure, et nul capitaine Cook n’a parlé de ces Otaïti à une demi-journée de Paris.

Louise admirait avec intelligence et sentiment les différentes nuances du feuillage, les moires de l’eau gaufrée par une légère brise, le vol brusque du martin-pêcheur,