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cher ses craintes soudaines, ses dépits violents, ses joies délirantes… mais on ne peut pas cacher cette impression agréable, cette indiscrète béatitude qu’on éprouve à rentrer tout à coup dans son élément, après de longs jours de privation et de souffrances. Eh bien ! ma chère, l’élément de M. de Monbert, c’est la mauvaise compagnie. Je suis très-polie en ne disant pas davantage.

Au reste, cela ne m’étonne point, et j’ai souvent remarqué avec tristesse ce noble goût chez ses semblables : les hommes élevés pour la dignité et dans les rigueurs de l’étiquette n’ont pas de plus grand plaisir que de se commettre avec des gens de rien ; on leur impose l’élégance comme un devoir, alors ils considèrent la grossièreté comme la récréation ; ils en veulent, pour ainsi dire, à ces qualités charmantes dont on leur fait une obligation, et ils se dédommagent de la peine qu’ils ont eue à les acquérir, en les rendant malicieusement inutiles, en se jetant volontairement dans un monde vulgaire, dans une société infime où elles ne sauraient briller, où elles n’ont aucune valeur. Il faut cette tendance taquine de l’esprit humain, cette lutte éternelle du caractère et de l’éducation pour expliquer ce goût, cette passion des hommes calmes et distingués pour la mauvaise compagnie ; plus ils sont froids et dignes dans leurs manières, et plus ils recherchent les mauvais sujets, les femmes tarées, les misérables espèces ; il y a encore une autre raison de cela, c’est que ce sont des orgueilleux, et que les orgueilleux ne se plaisent qu’avec ceux qu’ils méprisent.

Toutes ces turpitudes seraient sans importance, si notre pauvre noblesse était encore debout, si elle n’avait pas à reconquérir sa place, à recouvrer son prestige. Mais pourra-t-elle jamais le faire avec de tels représentants ? Oh ! que je les maudits, ces petits sots qui, par leurs coupables extravagances, compromettent une si belle cause ! Comment ne sentent-ils pas que chacune de leurs étourderies donne une arme terrible contre les idées qu’ils défendent,