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Il faut vous dire, pour que vous puissiez comprendre toute ma fureur, qu’avant d’aller au spectacle, au moment de monter en voiture, on m’avait apporté les lettres que j’avais fait demander à l’hôtel de Langeac. Dans le nombre, se trouvait un billet de M. de Monbert, celui qu’il m’avait écrit quelques jours après mon départ ; mais je veux vous l’envoyer, ce billet, il mérite de faire le voyage. En le lisant, vous, chère Valentine, n’oubliez pas que je l’ai lu, moi, à travers les étranges conversations de M. de Monbert et de ses compagnes, et que chacune des phrases ampoulées de ce billet prétentieux avait pour traduction littérale et libre à la fois, pour commentaires ingénieux, les éclats de rire, les mauvais bons mots, les calembours stupides de l’infortuné qui l’avait écrit.

J’en conviens, ces éclats de rire, ces discours joyeux, me gênaient un peu pour lire de si touchants reproches : les brillantes improvisations de l’orateur m’empêchaient de m’attendrir sur les lamentables élégies de l’écrivain. Voici ce plaisant billet ; j’essayais de le déchiffrer à travers mes larmes, quand M. de Monbert est arrivé au spectacle :

« Est-ce une épreuve d’amour, une vengeance de femme ou un caprice d’oisiveté, mademoiselle ? Ma tête n’est pas assez calme pour trouver le mot d’une énigme. Au nom du ciel, venez au secours de ma raison ! Demain peut-être, si votre sagesse me parle, la folie vous répondra ! Sortez de votre mystère avant ce soir.

» Tout est désolation et ténèbres autour de moi et dans moi. Le rayon du jour échappe à mes yeux, le rayon de la pensée à mon âme. J’ai cessé de vivre en cessant de vous voir. Il me semble que la puissance de mon amour me donne encore la force de me survivre à moi-même, et de retenir dans mes doigts une plume vagabonde que mon esprit ne guide plus. Avec mon amour, je vous avais donné mon âme : ce qui reste de moi à cette heure vous ferait pitié. J’implore de vous ma résurrection.

» Vous ne pouvez comprendre l’extase d’un homme qui