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— Ah ! Mon émotion suspendit ma phrase commencée. — Oui… je savais bien… il me semblait même… que je l’avais vue entrer… là… par cette porte.

— Oui, monsieur ; elle est entrée par cette porte, et elle est sortie par celle-ci.

Elle me montrait, dans le fond, l’autre porte ouverte sur la nouvelle rue Vivienne.

Je réprimai une exclamation qui aurait été un scandale de plus, et, traversant la boutique, je sortis par l’autre porte, comme si mademoiselle de Châteaudun avait eu la patience de m’attendre sur le trottoir de la nouvelle rue Vivienne.

Ma tête n’avait plus de pensées. Mes pieds me conduisaient au hasard, à travers des rues dont j’ignorais les noms. Il m’importait peu d’échouer sur Charybde ou sur Scylla. Tout pavé de la ville m’était bon. Comme les fous qui choisissent une phrase et la répètent à satiété, sans le savoir, je ne pouvais trouver sur mes lèvres que ces mots : « Démon de femme ! » En ce moment, que de haine bouillonnait au fond de mon amour !… Et quand cette haine se calmait, en me laissant la réflexion froide, je m’écriais silencieusement au fond de ma poitrine : Irène m’a vu à l’Odéon entre ces hideuses femmes ; je suis à jamais déshonoré à ses yeux !… Si j’essaie de me justifier, aura-t-elle foi à ma tardive justification ? Les femmes sont inexorables pour ces sortes d’écarts d’un moment, qu’elles regardent comme des crimes prémédités, indignes de pardon. Toujours Irène me criera ce vers du poëte :

<poem class="verse" style="font-size:90%"> Tu te fais criminel pour te justifier !

Vous êtes heureux, vous, cher Edgard ; vous avez trouvé la femme que vous rêviez ; vous aurez tout le charme d’une passion, moins les orages. C’est folie de croire que l’amour se ravive dans ses propres tourments et s’excite de ses