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jours là. Les jeunes femmes éternisent une emplette. Je ne m’étonnais point du retard ; je voulais me dérober au scandale de ma position.

Armé d’un courage surhumain, je fais cinq pas, j’ouvre la porte de la boutique chinoise, et j’entre comme sur la brèche d’une ville prise d’assaut.

En entrant, je ne vis confusément que des objets vivants ou morts ; je ne détaillai rien. Une femme s’inclina gracieusement sur le comptoir, et murmura quelques paroles en me regardant.

— Avez-vous, madame, lui dis-je, avez-vous quelques curiosités en chinoiseries ?

— Nous avons, me répondit-elle, du thé noir, du thé vert, du thé russe ; nous avons aussi du fin pékau.

— Eh bien ! madame, donnez-moi de tout cela.

— En boîte ?

— En boîte, comme vous voudrez, madame.

Je regardai partout dans la boutique ; il n’y avait que deux vieilles femmes debout devant un autre comptoir. Point d’Irène.

Je payai mes emplettes, et, en donnant mon adresse, je questionnai ainsi la dame du comptoir

— J’avais donné rendez-vous ici à ma femme ; nous devions faire ensemble ces emplettes selon ses goûts, qui sont toujours les miens. Il paraît que nous avons fait une erreur dans nos heures… Au reste, je suis en retard et très en retard. Ma femme est peut-être venue ?…

Et je donnai, dans ses plus minutieux détails, le signalement de mademoiselle Irène de Châteaudun, depuis la couleur des cheveux jusqu’à la nuance des souliers.

— Oui, monsieur, me dit la dame du comptoir ; elle est en effet venue, mais il y a bien longtemps… deux heures environ… elle a fait quelques emplettes.