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foule s’échelonnait devant moi, par couches épaisses, qu’il fallait percer au milieu des murmures des promeneurs, troublés dans leur quiétude par la brutalité d’un seul.

Enfin, à dix pas des Panoramas, je trouve une éclaircie de foule, et j’aperçois mademoiselle de Châteaudun doublant l’angle du café Véron et entrant dans le passage. Cette fois, elle ne peut m’échapper. La voilà dans le couloir étroit, dont l’extrémité rayonne de galeries désertes, et propices à une rencontre d’explication. J’entre dans le passage, quelque temps après Irène, et je la revois. Trois longueurs de pas me séparaient d’elle. Je me prépare à cet entretien formidable qui doit être ma vie ou ma mort. J’étreins violemment ma poitrine avec mes bras, comme pour imposer silence aux pulsations de mon cœur. Le ciel va s’ouvrir sur ma tête ou l’enfer sous mes pieds.

Elle jette un regard rapide sur la devanture chinoise d’une boutique, comme pour reconnaître une enseigne, et sans manifester la moindre précipitation, elle a ouvert la porte et elle est entrée. — C’est bien, me suis-je dit ; une velléité d’emplette en passant. Observons.

Je me suis posé comme un dieu Terme, à cinq pas du magasin chinois, dont le péristyle est vraiment du meilleur goût, et ne déparerait pas l’enseigne du plus achalandé filigraniste d’Hog-Lane, au faubourg européen de Canton.

Un autre de ces amis, que le hasard tient dans son réservoir pour les bonnes occasions, sortait du change voisin, et, jugeant à mon immobilité de statue que j’attendais un secours contre mes ennuis, m’a brusquement abordé en ces termes :

— Eh ! bonjour, mon cher cosmopolite ; voulez-vous m’accompagner ? Je vais à Bruxelles ; je viens de prendre l’or du voyage chez mon changeur : l’or est très-cher, le change est à quinze francs.

Moi, je répondais par des sourires faux et des monosyl-