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porcelaines. Il est difficile de me faire poser, comme on dit dans un certain monde, mais quand l’adversaire n’est pas redoutable, je lui laisse prendre tant d’avantages qu’il finit par me battre.

Je ne me suis pas tout d’abord assez défié de Louise.

— Je me suis dit : Ce n’est qu’une grisette ou une amoureuse de province ; j’ai laissé la porte de mon cœur ouverte, — l’amour est entré. Et je crois que j’aurai bien de la peine à le faire sortir.

Pardonnez-moi, cher Roger, ces bavardages insignifiants, mais il faut bien vous écrire quelque chose. Ma passion, après tout, vaut la vôtre. Qu’on aime une impératrice ou une danseuse de corde, l’amour est le même, et je finirai par être aussi malheureux de la disparition de Louise, que vous de la disparition d’Irène.

Edgard de Meilhan.


XI


À MONSIEUR
MONSIEUR DE MEILHAN
À PONT-DE-L’ARCHE (EURE).


Paris, 3 juin 18…

Elle est à Paris !

Avant de le savoir, je le savais. Il y avait dans l’air une voix, une mélodie, un rayon, un parfum qui me disaient : Irène est ici !

Paris me paraissait repeuplé. La foule n’était plus un désert à mes yeux. Cette grande cité morte avait repris une âme. Le soleil me rendait ses sourires. La terre palpitait sous mes pas. Le vent suave qui soufflait dans mes cheveux prononçait à mon oreille un nom adoré.

Le hasard a un trésor d’atroces combinaisons. Le hasard ! ce rusé démon ! il s’est nommé le hasard, pour