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seul dans cette allée, où je m’étais promené avec elle, je me suis senti le cœur gros et j’ai poussé un soupir comme un jeune abbé dans une ruelle du dix-septième siècle.

Je suis revenu au château, n’ayant aucun prétexte pour rester là, contrarié, désappointé, ennuyé, désœuvré, — j’avais déjà pris cette habitude de voir Louise tous les jours :

Et l’habitude est tout au pauvre cœur humain,


comme dit le charmant poëte Alfred de Musset. Mes pieds savaient me mener tout seuls au bureau de poste : que vais-je faire du temps que cette visite m’employait ? J’ai tâché de lire, mais j’étais distrait, je sautais des lignes, je revenais deux fois au même paragraphe, et mon livre étant tombé, je l’ai ramassé et j’ai lu une heure à l’envers sans m’en apercevoir ; j’ai voulu faire un sonnet en vers monosyllabiques, occupation extrêmement intéressante, et je n’ai pu en venir à bout. Mes quatrains étaient pleins de longueurs, et mes tercets péchaient par trop de diffusion.

Ma mère commence à s’inquiéter de ma maussaderie et m’a demandé deux fois si j’étais malade. J’ai déjà maigri d’un quarteron car rien ne me fait enrager comme d’être planté là au plus beau moment de mon effervescence ! Ixion de Normandie, j’avais pour Junon une enlumineuse ; j’ouvre les bras, et je ne serre qu’une nuée ! Ma position, pareille à la vôtre, ne peut cependant lui être comparée. Pour moi, il ne s’agit que d’une amourette sans conséquence, d’une fantaisie contrariée ; vous, c’est une passion sérieuse pour une femme de votre rang qui avait accepté votre nom et qui n’a pas le droit de se jouer de vous. — Il faut la retrouver, ne fût-ce que pour vous venger.

J’ai des remords d’avoir été si sentimental et si bête au clair de lune. J’aurais dû profiter de la nuit, de la solitude et de l’occasion, Louise ne serait pas partie ; elle a bien vu que je l’aimais, et j’ai cru voir que je ne lui déplai-