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chargé de porcelaines communes et pompeusement installé sur une table ronde, de gravures représentant les Adieux de Fontainebleau, Souvenirs et regrets, la Famille du marin, les Petits Braconniers et autres vulgarités du même genre. — Concevez-vous rien de pareil ? Je n’ai jamais su comprendre, pour ma part, cet amour du commun et du laid. Je conçois que tout le monde n’ait pas pour logement des Alhambras, des Louvres ou des Parthénons ; mais il est toujours si facile de ne pas avoir de pendule ! de laisser les murailles nues, et de se priver de lithographies de Maurin ou d’aquatintes de Jazet !

Les gens qui remplissaient ce salon me semblaient, à force de vulgarité, les plus étranges du monde ; ils avaient des façons de parler incroyables, et s’exprimaient en style fleuri, comme feu Prudhomme, élève de Brard et Saint-Omer. Leurs têtes, épanouies sur leurs cravates blanches, et leurs cols de chemise gigantesques faisaient penser à certains produits de la famille des cucurbitacés. Quelques hommes ressemblent à des animaux, au lion, au cheval, à l’âne ; ceux-ci, tout bien considéré, avaient l’air encore plus végétal que bestial. Des femmes, je n’en dirai rien, m’étant promis de ne jamais tourner en ridicule ce sexe charmant.

Au milieu de ces légumes humains, Louise faisait l’effet d’une rose dans un carré de choux. Elle portait une simple robe blanche serrée à la taille par un ruban bleu ; ses cheveux, séparés en bandeaux, encadraient harmonieusement son front pur. Une grosse natte se tordait derrière sa nuque, couverte de cheveux follets et d’un duvet de pêche. Une quakeresse n’aurait rien trouvé à redire à cette mise, qui faisait paraître d’un grotesque et d’un ridicule achevés les harnais et les plumets de corbillard des autres femmes ; il était impossible d’être de meilleur goût. J’avais peur que mon infante ne profitât de la cir-