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avec son va-et-vient de diligences qui passent en faisant trembler la maison de fond en comble, de voitures de roulage chargées de ferrailles retentissantes et de troupeaux de cochons glapissant sous le fouet du porcher.

Le carreau est ciré d’un rouge criard d’un luisant insupportable, et rappelle une devanture de marchand de vins fraîchement vernie ; les murs se dissimulent sous un de ces affreux papiers de pacotille chamarrés de ramages exorbitants, de ceux que les propriétaires appellent veloutés et qui gardent si religieusement le duvet et la poussière. — Tout autour de la pièce flâne un meuble d’un acajou à faire maudire la découverte de l’Amérique, recouvert d’un drap sanguinolent, sur lequel sont imprimés en noir des sujets tirés des fables de La Fontaine. — Quand je dis sujets, je flatte bassement la somptuosité de madame Taverneau ; — c’est toujours le même sujet répété indéfiniment : — le Renard et la Cigogne. — Comme cela est voluptueux de s’asseoir sur un bec de cigogne ! Devant chaque fauteuil s’étale un morceau de tapisserie, pour ménager les splendeurs du carreau, de sorte que les bourgeois assis ont de vagues ressemblances avec les bouteilles et les carafes placées sur les ronds de moiré métallique, dans un banquet offert à un député par ses électeurs reconnaissants.

La cheminée est ornée d’une pendule d’un goût atrocement troubadour, représentant le templier Bois-Guilbert enlevant une Rébecca dorée sur un cheval argenté. À droite et à gauche de cette odieuse horloge sont placés deux flambeaux de plaqué sous un globe.

Ces magnificences sont l’objet de la secrète envie de plus d’une ménagère de Pont-de-Arche, et la servante elle-même ne les essuie qu’en tremblant. Je ne parle pas de quelques caniches en verre filé, d’un petit saint Jean en pâte de sucre, d’un Napoléon en chocolat, d’un cabaret