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douteux ou d’une position suspecte le plaisir que m’a causé la phrase humblement entortillée dans laquelle madame Taverneau m’a dit qu’elle n’osait pas espérer, mais qu’elle serait bien heureuse si…

Outre le bonheur de voir madame Louise Guérin (c’est le nom de cette charmante femme), je me proposais un divertissement tout à fait neuf pour moi, d’étudier des bourgeois hilares et dans la libre bêtise de l’intimité : je n’ai jamais vécu qu’avec l’aristocratie et la canaille ; c’est en haut et en bas qu’on trouve l’absence de prétentions : en haut, parce qu’elles sont satisfaites ; en bas, parce qu’elles sont franchement irréalisables. Nul, excepté les poètes, n’est réellement malheureux de ne pouvoir aller dans les étoiles. La position intermédiaire est la plus fausse.

Je croyais être venu de très-bonne heure pour avoir le temps de parler avec Louise, mais le cercle était déjà au grand complet ; tout le monde était arrivé le premier.

La chose se passait dans une grande pièce maussade, glorieusement qualifiée de salon, où la servante n’entre qu’en laissant ses chaussures à la porte, comme un Turc dans une mosquée, et qui ne s’ouvre qu’aux occasions les plus solennelles. Comme il est douteux que vous ayez jamais mis le pied dans un établissement semblable, je vais vous donner, à l’instar du plus fécond de nos romanciers (lequel ? direz-vous ; ils sont tous féconds aujourd’hui), une description détaillée du salon de madame Taverneau.

Deux fenêtres, drapées de calicot rouge, relevé d’agréments noirs, et compliquées de bâtons, de patères et de toutes sortes d’ustensiles en cuivre estampé, éclairent ce sanctuaire et le font jouir d’une vue très-gaie, au dire des bourgeois, la vue de la grande route poussiéreuse, bruyante, bordée d’ormes malingres toujours enfarinés,