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Rédemption.

Après avoir allumé une chandelle de suif qu’elle préférait à la lampe à pétrole, Romaine dit à Réginald en l’invitant à s’asseoir à côté d’elle sur la huche :

— Maintenant, causons. D’abord, vous êtes triste, et je veux en connaître la cause.

Ce mot, je veux, fut prononcé avec une intonation que le jeune homme n’avait jamais entendue jusqu’à ce jour dans la bouche de la fille du pêcheur.

Se retournant à demi, il vit des yeux humides et un front soucieux.

La chandelle de suif, éclairant mal la pièce, prêtait à tous les objets des ressemblances fantastiques, les ombres allongées prenant les formes les plus bizarres. La tête de Romaine, dont un côté seulement était éclairé par la lumière blafarde et sautillante, ressemblait à une étude de Rembrandt. Dehors, la pluie tombait à torrents, poussée en rafales pas le vent qui sifflait avec des rugissements de fauve dans les ténèbres. À des intervalles rapprochés, on entendait la foudre gronder, tandis qu’une magnifique et terrifiante fulguration sillonnait le ciel tourmenté.


La tête de Romaine ressemblait à une étude de Rembrandt…

— Je veux, dites-vous, reprit Réginald, en s’emparant des mains de la jeune fille, mais de quel droit, Romaine, dites-vous, je veux ?

— Parce que… parce que… qu’importe ! se hâta-t-elle d’ajouter, en le regardant fixement, longuement, de ses yeux où brillaient avec fascination l’amour et l’émotion.

— Parce que ? insista Réginald.

— Je vous le dirai plus tard, répondit elle avec hésitation.

Il répugnait à Réginald de raconter à la jeune fille la scène qui venait d’avoir lieu. Comment lui rapporter les paroles désobligeantes qu’il avait entendues ? Non à cause de lui mais d’elle. Tant il est vrai qu’on peut, sans l’offenser, dire à une femme certaines énormités, mais qu’il est des choses que ses oreilles ne sauraient souffrir.