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Rédemption.

Revenu de sa surprise du premier moment, Réginald eut un mouvement de courroux terrible. Il allait s’élancer vers ces commères, leur imposer silence. Puis, à la réflexion, sa colère tomba ainsi que ces vagues énormes capables de broyer un navire, et qui s’écrasent mollement sur le sable de la grève.

À quoi bon ? pensa-t-il, en continuant.

Une brûlante douleur l’avait cependant envahi.

Ainsi, à cause de lui, de lui seul, la vertu, la grande pureté, la virginité de Romaine étaient mises en suspicion. À cause de lui, on jasait sur le compte de Romaine. Mais alors, fallait-il qu’on imaginât des choses affreuses, des choses que ni elle, ni le grand-père, ni lui n’avaient jamais soupçonnées.

Bah ! après tout, il était fou de se torturer l’esprit pour des cancans de ces femmes.

Il accéléra le pas, mais presque aussitôt il fut repris par ses pensées mélancoliques.

— Mon Dieu ! quel mine vous avez ce soir, s’écria Romaine en accourant au-devant de son ami. Elle souriait d’un sourire qui n’était pas sans inquiétude.

— Vous serait-il arrivé quelque malheur ? ajouta-t-elle. Allons ! contez-moi ça.

Chaque fois que Réginald franchissait la barrière du jardin, la jeune fille l’accueillait avec une joie de le revoir qu’elle ne cherchait pas à dissimuler. Elle lui avait souvent répété que c’était très gentil à lui, un homme comme il faut, de s’occuper d’une humble fille comme elle, de venir la distraire et lui causer un si grand plaisir en se dérangeant si souvent pour elle.

Alors le jeune homme, qui n’osait lui avouer son grand, son incommensurable amour, lui répondait qu’il trouvait beaucoup de charme dans sa conversation, plus qu’il n’en avait jamais éprouvé avec aucune jeune fille ou aucune femme, là-bas.