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Rédemption.

comment, il se trouvait tout à coup devant la barrière entonnelée de deux cormiers.

Enlisé, c’est cela, il était enlisé. Ou plutôt, il montait, il montait toujours ce redoutable pic du sommet duquel il entrevoyait déjà l’abîme.

Partir brusquement, sans prévenir personne, ni Romaine, ni son grand-père, voilà à quoi il avait plus d’une fois songé. Un jour, il avait même bouclé ses malles qu’il avait défaites le lendemain.

Ce soir là, il s acheminait vers la demeure de Romaine, la tête baissée, en proie à de sombres réflexions, et comme poussé par une force supérieure, quand il fut arraché à ses pensées par un bruit de voix en colère :

— La Cope, si tu r’mues, j’te crucifie dans la ruelle du lit !

— Ta goule !

— Chauvasesse toé-même !

— Avite-toé !

— Défe ta tignasse !

— J’tarrache le go !

— J’t’aplatis le muffle !

Les cris, les gros mots, les jurons s’entrecroisaient. Machinalement, le jeune homme s’est arrêté. À dix pas devant lui, sur le seuil d’une maison peinturée en jaune, des femmes se chamaillent. Le silence se fait. Une accalmie entre deux bourrasques. Une voix avinée flagelle le jeune homme.

— Hé la-bas, toé, dis-don, l’grand Jack, qu’ost ce que t’as à r garder par icitte ? C’t’y vrai qu’t’as enjôlé la fille à Johnny ? Plutôt que d’faire jaser toute la paroisse, tu ferais ben mieux de r’tourner back su toé.

Et les trois ou quatre femmes qui se prenaient aux cheveux un instant auparavant, comme raccordées par cette apostrophe de la Cope, partirent d’un mauvais et bruyant éclat de rire.