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Rédemption.

nait dans le lointain, pour des cabanes en carton peint ou de gros flocons de neige accrochés aux arbres.

Derrière eux le soleil, qui se couchait dans la mer, empourprait l’horizon de ses derniers feux, doralisait la poussière de la route et les enveloppait tous deux dans une auréole lumineuse. Rythmées et adoucies par l’espace les dernières notes de l’angélus chantaient en ténor léger la prière vespérale à la Juive immaculée.

Réginald et Romaine s’étaient arrêtés. Dominant cette apothéose du jour à son couchant, de toute la grandeur de leur supériorité de roi et de reine de la création, ils se tenaient debout, seuls, spirituellement réunis par cette religieuse solitude du soir naissant.

Maintenant, plus aucun bruit. C’était un silence immense, infini.


Il imprima sur ses lèvres plus douces que le miel de l’abeille le premier baiser qu’il eût jamais donné à une femme.

Alors, subjugué, fasciné, Réginald, posément, religieusement, comme pour les saintes que l’on vénère dans leur châsse d’or, prit entre ses mains le front de Romaine, et, les yeux dans les yeux, comme s’ils se fussent aimés de toute éternité, imprima sur ses lèvres plus douces que le miel de l’abeille le premier baiser qu’il eût jamais donné à une femme.

 

Ce soir-là Romaine, en se déshabillant, se mira plus attentivement qu’elle n’avait l’habitude de le faire dans sa petite glace.

— Me trouve-t-il belle ? se demanda-t-elle avec une curiosité anxieuse.

Et avant de s’endormir, pelotonnée dans sa pauvre couchette de bois blanc, elle reporta son cœur et sa pensée vers celui qui, posément, religieusement, comme pour les saintes que l’on vénère dans leur châsse d’or, avait pris son front entre ses mains, et, les yeux dans les yeux, comme s’ils se fussent aimés de toute éternité, avait imprimé sur ses lèvres un baiser extatique.

— Si je devais ne plus le revoir, pensa-t-elle, je pleurerais toutes les larmes de mes yeux.