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Rédemption.

commettant pas le mal lui-même, il ne supposait pas qu’un autre pût le commettre, sortit, les deux mains rejointes derrière son dos large et légèrement voûté.

Resté seul avec Romaine, Réginald s’assit sur la huche, et regarda la jeune fille desservir la table.

Il ne parlait pas, il contemplait. Et puis, plus le silence se prolongeait, plus il lui en coûtait de le rompre.

Lorsque, candidement, elle retroussa ses manches au-dessus du coude, pour laver la vaisselle, il étouffa un cri d’admiration : jamais un bras d’un contour aussi parfait, un poignet aussi délié, un coude aussi bien dessiné ne s’étaient offerts à ses regards.

Il était à Paspébiac depuis quelques jours à peine, et déjà il était effrayé du changement qui s’était opéré en son âme, de la métamorphose qui s’était faite dans son esprit. Tout chaste qu’il fût encore, il lui semblait que dans ces quelques jours il avait vécu un siècle.

— Pourquoi avait il fui Montréal si ce n’était pour se sauver des attraits d’une jeune fille belle et ardente. Et maintenant, la fatalité l’ayant poussé de Charybde en Scylla, il était arrivé sur le bord d’un gouffre plus terrible, plus irrésistible que le premier.

Il gravissait un pie dangereux, au bas duquel s’ouvrait un abîme béant dont les profondeurs inconnues l’attiraient avec la puissance du vertige. Continuerait-il de monter, ou s’il redescendrait en toute hâte ? Avec épouvante, il pressentait qu’il était trop tard déjà. Une force invincible l’attirait vers ce sommet fascinateur d’où il serait précipité dans le vide.

Lorsque Romaine eut terminé son ouvrage, elle sortit sans mettre de chapeau.

Passant près d’une touffe de pensées au velours blanc et violet, elle se pencha et en cassa trois.

— Vous me permettez, dit elle, en les épinglant à la boutonnière de Réginald.