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Rédemption.

— Allons, la p’tite fille, dit Johnny Castilloux, dépêche-toé à greyer la table et à nous faire de la gâche, par rapport qu’il faut que j’doinde bintôt pour aller tendre mes rets.

Il parlait fort. On eût cru qu’il était impatienté et qu’il gourmandait sa petite-fille.

Nullement, le vieux pêcheur n’avait d’yeux que pour Romaine. Jamais il ne s’était mis en colère contre elle ; il nee se rappelait même pas lui avoir dit une parole dure. Mais comme tous le pêcheurs qui passent la moitié de leur vie sur la mer, il parlait très haut, par habitude, le grondement des vagues et le mugissement des vents étouffant souvent la voix des pêcheurs lorsqu’ils s’adressent à leurs compagnons.

Romaine sortit de la huche une nappe de toile qui avait gardé un reste de cette senteur fraîche de l’herbe où elle avait séché au dernier lavage. Cette nappe ne sortait de la huche que les dimanches et le jours de fête.

Le menu comprenait un potage aux légumes, une morue fraîche à la sauce blanche avec le foie rôti dans la graisse, un bouilli au lard, une boulette de beurre, de la mélasse et de la galette de farine de sarrazin, de la gâche comme avait dit le grand-père.

La gâche est un des mets favoris des pêcheurs. Lorsqu’ils invitent un hôte à leur table, ils croiraient l’offenser s’ils ne lui faisaient pas manger de la gâche. Pour breuvage, du thé.

Avant de se mettre à table, Johnny Castilloux offrit au jeune homme un verre de rhum. Choquant son verre contre le sien, il dit :

— À la vôtre, le monsieu, c’est pas tous les jours fête, et pisque vous voulez ben nous faire l’honneur de casser une croûte avec nous aut’ i faut mouiller ça si on veut pas échouer.

Il ajouta en riant :

En pocheurs qu’vous êtes, vous avez pas mon expérience ni celle de mon oncle. Mon oncle Jérôme, c’est l’arrière-