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Rédemption.

Et cependant, il éprouvait une certaine répulsion d’aller gêner par sa présence le laisser-aller de ces gens simples et bons. Il en coûtait à sa délicatesse de rompre le tête-à-tête délicieux du vieux grand père et de la petite fille, dans l’intimité chaude et sacrée du foyer. La pensée de voir Romaine de nouveau fut plus forte que son aversion. Et d’ailleurs, il l’avait promis.

L’après-midi lui parut interminablement longue. Plusieurs fois, il se surprit à regarder à sa montre. Même, il partit longtemps avant l’heure, se proposant de marcher lentement pour ne pas arriver trop tôt. Il était vêtu d’un complet en serge bleu marin. Pas un seul bijou : il ne voulait pas, par un luxe insolent qui, d’ailleurs, détonnerait, humilier la vie modeste de ces braves gens.

Il marchait très lentement. Il rencontra une femme qui marchait très vite.

Ce fut la femme qui s’arrêta. Elle demanda, après avoir hésité :

— Voulez-vous m’dire quelle heure qu’il est, le monsieu. J’avais promis à mon homme, qui travaille su’ le banc, d’aller le prendre de bonne heure pour l’aguinder à remonter des paquets. C’est ma voisine qui m’a retardé avec son histoire de chicane qu’al a eue avec son mari, à cause d’un pommier de prunes.

— Cinq heures et demie, répondit Réginald.

Et il ajouta :

— Vous êtes Canadienne ?

— Non, j’sus une Chapadeau.

— Votre mari ?

— C’est un pêcheux.

— Son nom ?

— Comment qu’i s’onpelle ? Jean-Baptiste.

— Jean-Baptiste qui ?