Page:Girard - Rédemption, 1906.djvu/73

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
71
Rédemption.

genre de travail était une occasion continuelle de débauche. Mais l’appât de l’argent, le désir de faire quelques sous de plus chaque jour, l’avaient emporté sur la défense du curé, et les femmes et les filles de Paspébiac continuaient de plus belle leur labeur. Or, un bon jour, ce curé, s’apercevant que sa parole n’avait pas assez d’autorité pour être écoutée de ses ouailles récalcitrantes, entra dans une grande colère. Il s’arma d’un long fouet et descendit sur la grève. Là sans crier gare, il se mit à frapper à droite et à gauche, pourchassant jusque chez elles toutes les rebelles, qui fuyaient comme un troupeau devant la tempête. Depuis, on n’a plus vu une seule femme travailler sur le banc.

Le fouet, du reste, avait dû être un argument des plus convaincants à Paspébiac. Il y avait de cela trois ou quatre ans, deux hommes, — les deux frères, — et quels hommes, des colosses ! — se battaient d’une façon révoltante sur la place de l’église. C’est là que se vidaient tous les différends. Un rassemblement s’était fait. Les femmes et les enfants des deux batailleurs pleuraient et criaient, sans parvenir à séparer ces forcenés. C’est alors que la vieille mère des combattants avait paru sur la scène, un fouet à la main, accablant de coups ces mauvais frères. Puis, elle leur commanda de retourner en paix chacun chez eux. Et eux, l’oreille basse, d’obéir aussitôt, sans le moindre murmure.

Au haut de la côte, Romaine fit remarquer à son compagnon un vieillard à longue barbe blanche qui venait de franchir la porte de son jardin.

— C’est, dit-elle, le notaire Alain, l’homme le plus spirituel, le plus affable et le plus respectable de toute la baie des Chaleurs.

Réginald avait remarqué que tous les gens qu’il croisait sur la route le saluaient, soit de la main, soit d’un signe de la tête, soit avec leur chapeau ; les femmes mêmes inclinaient la tête en esquissant un sourire. Il crut, naturellement, que toutes ces marques de politesse s’adressaient