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Rédemption.

— Du tout, mademoiselle, répondit Réginald en la remerciant d’un sourire.

Une parole flatteuse à l’adresse de la jeune fille expira sur ses lèvres. Il craignit d’être banal.

Quelques instants plus tard, s’étant retourné vers la jeune fille, il la surprit le regardant d’un air rêveur. Il crut même avoir aperçu dans ses yeux attendris une lueur étrange.

— Non, pensa-t-il, c’est mon imagination, ou plutôt mon désir, qui trompe ma vue.

Et il rejeta sa ligne à l’eau.

De nouveau, il regarda Romaine. Elle avait encore les yeux attachés sur lui. Dès qu’elle se vit découverte, elle détourna promptement la tête de côté.

Il était onze heures. L’oncle Roussy dit à Johnny Castilloux :

— Levons la traul.

— Allons, répondit simplement l’autre.

Alors, Jérôme Roussy se tenant debout à l’avant de la barge, les muscles tendus, le torse penché en avant, tira à lui, un par un, les hameçons chargés. À trois pas en arrière, son compagnon donnait un coup sec et les morues tombaient dans la cale de la barge. Parfois, c’était une raie ou une plie qui s’était prise à l’appât. Johnny Castilloux, alors, rejetait la raie à la mer, et envoyait la plie rejoindre les morues dans le fond de l’embarcation.

Ça et là pendait aux hameçons le vorace, l’implacable chien de mer, la terreur des morues, le cauchemar des pêcheurs. Alors, avec un juron le vieux Castilloux lui tranchait la tête et envoyait à la mer le cadavre qui laissait après lui, en disparaissant sous l’eau, une traînée de sang. Où bien, il le mutilait comme un prisonnier de guerre, lui coupait la queue, les nageoires, lui crevait les yeux…

— Ce poisson n’est donc propre à rien ? demanda Réginald.

— Non, le monsieu. Ce chien de mer donne la chasse à la morue, en dévore des milliers et l’éloigne de nos trauls. qu’il