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Rédemption.

l’autre. J’me rappelle qu’y a queques années, les hommes et les criatures qui travaillaient su’l’plain à étendre la morue pour la faire chesser, buvaient, quand i avaient soif ou fret, du rhum qu’était dans un siau. Quand le siau était vide, on l’emplissait. Aujourd’hui, c’est pus ça, le rhum, on s’y frotte pas comme on veut.

Tout en parlant, les deux pêcheurs, qui avaient fini de manger, préparaient leurs palancies ou lignes à la main, terminées chacune par deux hameçons auxquels ils accrochaient soit un morceau de hareng, soit une coque. L’autre extrémité des deux lignes longues de trente brasses fut attachée à la barge.

Sur le désir du jeune homme, l’oncle Jérôme lui prépara à lui aussi une palancie et il se mit en frais d’imiter les deux pêcheurs.

Cependant, Johnny Castilloux, qui venait à peine de jeter sa ligne à la mer, la retirait déjà, avec une grosse morue à chaque hameçon.

— Apparemment qu’on r’viendra pas bourreau, aujourd’hui, fit-il, en déprenant les morues, qui s’étaient laissé tirer de l’eau sans le moindre soubresaut, sans la plus faible résistance.

Rien de plus vache qu’une morue, ajouta-t-il. Vous voyez, on hâle ça de l’eau comme une poche de sel. Et pis…

Son compagnon l’interrompit avec un juron.

— À cré garces, al ont déboetté mes crocs !… al ont fou le camp avec. Si jamais qu’je les rattrape !

En effet, aux hameçons de sa palancie qu’il venait de retirer de l’eau, il ne restait plus trace d’appât.

— Bravo ! applaudit Romaine, en voyant Réginald retirer une morue de l’eau. Vous avez des aptitudes, monsieur Olivier.

— Qui sait, repartit ce dernier, on ne connaît pas l’avenir. Je vous avouerai en toute sincérité, cependant, qu’il y a un peu de hasard, car il faut avoir la main joliment expéri-