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Rédemption.

sont aimés, il dit, avec une légèreté apparente et en baissant la voix :

— La place était déjà prise ?

Romaine tressaillit. Ses sourcils arqués se rencontrèrent, le front se plissa, les yeux si doux devinrent durs. Elle regarda le jeune homme en face. Ce dernier ne put soutenir ce regard fier et indigné.

— Il pouvait s’en vanter, pensait-il, il en avait commis une gaffe. C’en était fait de lui. Aussi pourquoi cette sotte curiosité ? Pourquoi avait-il voulu savoir ? De quel droit ? Il la connaissait à peine. Devait-elle lui rendre compte de ses actions, à présent ?

Le front, cependant, avait repris sa sérénité, son poli de marbre, et les yeux, leur douceur et leur limpidité.

— Je n’ai jamais aimé que grand-père et mon curé, répondit-elle, franchement et simplement.

Le silence s’était fait.

On n’entendait plus que le clapotage de l’eau huileuse contre la barge et le crissement du couteau taillant le dernier hareng en morceaux.

— Allez-vous avoir des coques assez, mon oncle ? demanda Johnnv Castilloux à Jérôme Roussv, qui plongeait la main dans le seau pour accrocher une coque à chaque hameçon.

— J’pense ben, répondit-il, qu’on va en avoir justalement assez.

La barge était maintenant à sept milles de Caraquet.

— Si vous voulez dire comme moé, mon oncle, on va mouiller icitte. On est ben assez loin. Not’ barge a pus besoin de gagner, a peut quiendre icitte. Donnez-moé donc le quirandeau, qu’est à côté de vous.

L’oncle Roussv passa à son neveu le flotteur en forme de toupie, surmonté d’un petit pavillon blanc.