Page:Girard - Rédemption, 1906.djvu/61

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
59
Rédemption.

— Oué, répondit Johnny Castilloux avec orgueil. On pourrait croire qu’une criature est un embarras dans une barge, mais la p’tite, loin de nous déguinder, elle nous aguinde ben.

De la contempler ainsi les cheveux au vent, l’œil attentif, la main un peu forte posée résolument sur la barre du gouvernail, femme par la beauté, homme par la vigueur, Réginald crut voir cette Amphitrite que les Anciens invoquaient dans leurs courses sur la mer, pour les protéger contre les surprises des tempêtes et des flots.

— La p’tite, a aime ben la mer, dit le vieux Castilloux en arrêtant sur Romaine un regard débordant d’affection. À quien ça d’son pauv’ défunt père et d’son grand-père et des aut’ qui sont venus avant nous. Pour l’ordinaire, on fait l’affaire à deux, mon oncle Jérôme et moé. Y a cinquante ans qu’on s’est pas lâchés. Mais Romaine a nous accompagne souvent. Pour lorsse, c’est elle qui quient la barre, et même qu’a rame et connaît les gréments de la voilure comme nous aut’.

— Tenez, ajouta-t-il, en indiquant de la main sa petite-fille, avec une naïve bonhomie et un orgueil mal dissimulé, sondez-moé c’bras là, et dites-moé si c’est du stuff ou non.

Pour le coup, le jeune homme se sentit les oreilles tout chaudes. Et cependant pour ne pas déplaire au vieux, qui y allait de si bonne foi, il s’exécuta.

De ses doigts, avec une légère pression, oh ! si légère, il ceintura un bras ferme, d’une rondeur parfaite.

Leurs yeux se rencontrèrent et leurs paupières s’abaissèrent en même temps.

— Vous avez raison, répondit Réginald an grand père, pour dire quelque chose, car il était joliment intimidé.

— Même, continua le pêcheur, qu’a va souvent en flat faire des bouts fine seule su’ la mer. J’ai souvent voulu l’en priver, mais al aime tant ça que j’me sus toujours laissé ga-