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Rédemption.

Pour toute réponse, Jérôme Roussy aida à placer dans la barquerolle les lignes, un petit baril d’eau douce, des beurrées enveloppées dans un mouchoir rouge, les suroîts et les cirages jaunes en toile goudronnée, le quirandeau, les harengs, les coques. Puis, s’arc-boutant, tous deux poussèrent la barquerolle à la mer en faisant crisser le sable de la grève.

Il ne fallut pas plus de cinq ou six vigoureux coups d’avirons de Johnny Castilloux pour atteindre la barge qui dansait sur son ancre. Tout le contenu de la barquerolle fut transporté dans l’embarcation.

Le norroi, au large, devait souffler à une assez bonne vitesse, à en juger par les voiles gonflées des autres barges. Près du rivage, il n’était pas assez fort pour remplir les voiles. Aussi les deux pêcheurs gagnèrent-ils la mer en souquant sur les rames. Maintenant, le vent était plus froid. Les vagues plus hautes se brisaient contre la barge en une dentelle d’un blanc irisé. Les pêcheurs, le corps en sueur, retirèrent de l’eau leurs pesantes rames et plantant les deux mâtereaux de la barge, ils hissèrent les voiles tamisées et rapiécées couleur de brouillard.

À peine les antennes eurent-elles été mises en place, que les voiles se gonflèrent comme deux mamelles pleines, et la barge fila sous le vent.

— Ça serait p’tet ben pas une méchante idée si nous hâlions le foc, remarqua Jérôme Roussy.

— Vous avez raison, mon oncle, répondit son neveu, Johnny Castilloux.

La petite voile triangulaire venait d’être hissée et déjà l’embarcation, bondissant comme un coursier ivre d’espace et de liberté, courait à toute vitesse sur les flots.

Romaine était à la barre. Dirigée par cette fille de pêcheur, cette héritière du sang normand et breton, la barge nageait sans dévier de sa course. Réginald ne put s’empêcher d’en faire la remarque.