Page:Girard - Rédemption, 1906.djvu/58

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
56
Rédemption.

mière crue du jour. Leurs cheveux, soigneusement arrangés avec des emprunts, craignent les bourrasques du vent. Le sourire est affecté, gêné, pour ne pas laisser apercevoir trop de dents souvent sans gencives. Il faut bien prendre garde de ne pas faire de faux mouvement qui déplacerait les coussinets dont sont capitonnées leur personnes. Cette lumière du soleil est trop vive, elle rapetisse la pupille de l’œil, lui enlève de la profondeur et du caressant ; la lumière artificielle de la lampe ou celle du jour assombrie par les tentures et les draperies des salons est plus avantageuse. Là, l’œil reprend un charme et un velouté factices, et la peau, un éclat trompeur.

Romaine Castilloux charmait par une beauté vraie, laquelle, dans cette apothéose du jour naissant, prenait une séduction irrésistible. Sa chair, d’un blanc si pur, lumineusement hâlée par le soleil ardent de la mer, resplendissait sous la masse des cheveux d’or rouge.


Romaine Castilloux.

L’œil très grand, si noir, qu’on n’en distinguait pas la pupille de l’iris, et que le blanc en était bleui, enveloppait dans une caresse troublante celui qu’il regardait. Il y avait du sang sur le carmin de ses lèvres, comme si quelque dieu d’amour y eût mordu avec passion.

Pris de vertige, Réginald s’éloigna de quelques pas, les yeux sur la mer. Peut-être espérait-il que le chant sauvage des vagues l’arrachât aux pensées et aux désirs charnels qui montaient en lui, s’agitaient avec volupté dans son être. Peut-être souhaitait-il que la brise chargée des senteurs âcres et froides de la mer rafraîchît la surexcitation de ses sens.

Cependant, les pêcheurs avaient fini d’étendre leurs rets sur la grève, comme un rideau que l’on épingle à un tapis pour le faire sécher.

— Mon oncle, dit le plus jeune des pêcheurs, celui qui avait soixante-quatorze ans, si l’on veut rentrer su’ le coup du midi, y est presquement temps d’ippareiller.