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Rédemption.

disparu sous la poussée envahissante de la baie, pour reparaître quelques heures plus tard. Surnageait seule, au-dessus des flots, une longue raie jaunâtre, à l’extrémité de laquelle, là-bas, à la pointe du banc, brillait la lumière du phare. Çà et là des pêcheurs, formes indécises et noires, se mouvant étrangement dans la demi-obscurité de l’aube, levaient leurs rets. Parfois, un cri prolongé, qui devait être une question ou une réponse qu’on se faisait de loin.

Réginald tourna à gauche comme le lui avait recommandé Johnny Castilloux, et suivit l’étroite bande de terre qui forme le banc, située entre le barachois et la mer. Il avait dépassé les chafauds, treillis en fer sur chevalets sur lesquels se fait la première opération du séchage et du nettoyage de la morue, que l’on expédie dans les Antilles, au Brésil, au Portugal, en Italie.

Tournant à droite, il s’arrêta court.

Était-il réellement réveillé, ou bien s’il continuait le songe enivrant et fantastique dont il avait été arraché par une voix fraîche et parfumée comme la brise saline ?

À une trentaine de verges devant lui, assise sur le flanc d’une barquerolle, ses longues tresses d’or rouge brillant avec un éclat phosphorescent dans la demi-obscurité qui durait encore, nu-tête, vêtue d’une robe gros bleu, contraste délicieux avec la blancheur lumineuse de sa peau, elle était là, étoile du matin, plus belle que celles qui s’en allaient maintenant en toute hâte dans l’indigo agonisant du ciel, plus belle que la lune dont le croissant semblait se fondre dans l’immensité.

Et les vagues venaient se rompre à ses pieds avec un sourd grondement de courroux, semblables à de fougueuses vassales qui se courbent devant la beauté de leur suzeraine dont elles ne peuvent secouer la royauté.

Sans doute, il était en proie à une hallucination. Il se frotta les yeux. Elle était toujours là, regardant la mer.