Page:Girard - Rédemption, 1906.djvu/40

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
38
Rédemption.


ELLE.


Il était un homme nouveau.

Une pensée dominatrice occupait tous ses instants. Son esprit, même quand il ne s’arrêtait à rien en particulier, était obsédé, mais d’une obsession caressante comme un rêve heureux. Tantôt il était chagrin, tantôt joyeux. Enfin, il était malade de cette maladie, qui délicieuse dans son âcreté, fait prendre en pitié les êtres les mieux portants. Il aimait.

Il aimait, même avant de connaître, comme il arrive toujours dans l’éclosion spontanée des grandes amours.

Quelle était celle qu’il aimait ? Où aboutirait cet amour ? Qu’importe. D’ores et déjà, il se sentait attiré irrésistiblement vers cette jeune fille qu’il avait, la veille, aperçue dans une vision mystique, toute blanche et noyée dans un flot d’or vaporeux de soleil.

Et cependant, s’il l’eût rencontrée dans le brouhaha et le décor banal de la ville, dans l’étuve d’un bal, peut-être ne l’eût il pas plus remarquée qu’il n’avait remarqué bien d’autres femmes charmantes, qui étaient passées à côté de lui inaperçues. Malheureusement, il se trouvait dans cet état d’âme où, pour le vagabond de la pensée, toute femme et toute beauté se surnaturalisent en se divinisant.

Il avait, ce matin-là, prêté un soin tout particulier à sa toilette — plein du désir de plaire. Ridicule vanité ? Non pas. Le jeune homme voulait plaire à l’être qui lui plaisait à lui-même.

Une femme, dans la rue, devine qu’elle est suivie par un être cher ou seulement par un admirateur ; est-ce qu’aussitôt elle ne jettera pas, à la dérobée, un coup d’œil dans une