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Rédemption.

peint de blanc avec quelques dorures à demi effacées. Il jeta un coup d’œil sur les toiles et les statues : des saints et des saintes que l’on aurait dits en sucre d’orge colorié. Dans l’église, personne, à l’exception d’une vieille dévote accroupie sur les talons et murmurant ses oraisons devant la quatrième station du chemin de la croix.

Il allait sortir, quand tout à coup il entendit des accords tristes, suppliants, comme mus par les sanglots, puis des transports délirants de joie, un hymne de gratitude de l’âme consolée montant à travers l’espace jusqu’à l’Infini.

Pour perdre la réalité des choses ambiantes, pour ne pas choquer, contre quelque brutalité de la vie matérielle, l’impression ineffable qui s’était emparée de tout son être, il ferma les yeux. Oubliant où il était, s’il existait même, il se laissa emporter sur les ailes de cette mélodie, loin, très loin, vers les altitudes célestes. Des larmes d’une douceur ineffable, quand il ouvrit les yeux, mouillaient ses paupières. De nouveau, l’immense silence de religion et de quiétude emplissait tout l’édifice. Mais cette fois ce silence y faisait un vide froid succédant à la musique qui venait de l’empoigner.

Alors il tourna la tête et leva les yeux. Jamais il ne devait oublier le spectacle qui frappa ses regards. Son âme en reçut une commotion si spontanée, si profonde qu’il allait en souffrir toute sa vie.

Tout homme est soumis à un moment décisif d’où dépend le bonheur ou le malheur de sa vie.

Ce moment était venu pour Réginald.

Enveloppée dans un rayon de soleil qui filtrait à travers une des grandes fenêtres ceintrées de même qu’une sainte nimbée d’or, une jeune fille était assise au petit orgue de l’église. La figure tournée à demi présentait le plus pur profil qu’il fût donné à l’homme de voir : la ligne légèrement aquilinée du nez, la bouche orgueilleusement arquée,