Page:Girard - Rédemption, 1906.djvu/24

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
22
Rédemption.

— Vous êtes bien aimable, monsieur, mais cette facilité même a trop souvent ses désagréments. Et l’Anglais poussa un soupir.

Puis, entraîné dans la voie des confidences par la figure ouverte de son compagnon, il lui désigna de la tête une voyageuse.

— Vous voyez cette jeune fille aux cheveux châtain-clair, près de la cabine du maître d’équipage, assise aux côtés d’un petit jeune homme au nez en trompette.

— Oui, je le vois.

— Eh bien ! monsieur, je vous prie de m’écouter, et vous me direz après, à quoi tient l’amour.

Cette jeune fille, je la connais depuis nombre d’années. Elle a même daigné me donner des preuves de son amour. Je l’accompagnais jusqu’à Carleton, où elle descendra dans dix minutes. Nous avons commencé gaiement le voyage, lorsque tout à coup est survenue une futile querelle, une de ces brouilles d’enfants, lesquelles loin de tirer à conséquence ne font que rendre plus étroits les liens de l’amitié. Ni elle ni moi ne voulions rompre le premier le silence. Elle se lève et va s’accouder au bastingage, à quelques pas de moi, près de cette chaloupe. Le petit jeune homme s’approche, et elle lui adresse effrontément la parole, n’attendant même pas qu’il engageât, le premier, la conversation. Croyant que la chose en resterait là, je descends prendre des cigares dans ma cabine. Je remonte sur le pont. Le petit jeune homme s’était emparé et de mon siège et de mon amie. Tous deux sans plus se soucier de moi que si j’eusse été dans le pays des Turcs, roucoulaient comme deux pigeons. Je patientai encore quelques minutes espérant, sûr même, que l’intrus s’en irait bientôt. Mais comme ce flirt menaçait de s’éterniser, et prenait pour moi une tournure ridicule, je m’avançai et dis à la jeune fille.

— Ne trouvez-vous pas que cette comédie a assez duré ?

Et m’adressant à son compagnon, j’ajoutai :