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Rédemption.

Tantôt le cri guttural d’un goéland ou d’une mouette ; tantôt le rire frais et libre de quelque jeune touriste des Etats-Unis couvraient le ronronnement presque imperceptible des machines.

Il fuyait. Rester à Montréal sans aimer cette jeune fille, et l’aimer sans la posséder légitimement lui semblait impossible. Ses mœurs, à lui, on n’en avait pas exagéré la pureté ; même qu’elles étaient rigides. Mais il l’avait dit : il ne fallait pas que l’homme fût tenté au-dessus de ses forces.

Il ne l’aimait pas encore. Mais déjà, il avait pour elle une grande sympathie. Avec son caractère fantasque, elle souffrirait encore, sans doute.

Et de nouveau, il pensa à Claire. Lorsqu’elle était sortie du couvent à dix-huit ans, elle en savait plus long que les bonnes sœurs l’eussent désiré. Une fois dans le monde, elle lut indistinctement tout ce qui lui tomba sous la main. Cette nature ardente, toute de passion et de spontanéité, lui jouerait certainement quelque mauvais tour un jour ou l’autre. Ah ! combien de jeunes filles n’ont aucun mérite à demeurer honnêtes, elles dont les sens froids et apathiques sont le bouclier invulnérable de leur vertu. Tandis que d’autres, avec la meilleure volonté et les efforts les plus constants… hélas !… et qu’elles sont nombreuses !

What a splendid weather !

Réginald tourna la tête. C’était un jeune touriste anglais qui lui avait adressé la parole.

Yes, indeed, répondit-il.

Will you have a seat ? ajouta t il, en lui avançant un pliant.

— Vous êtes Français, si je ne me trompe ? dit l’Anglais.

Tous deux échangèrent leurs cartes et reprirent la conversation.

— je suis heureux que la facilité avec laquelle on lie conversation en voyage, dit Réginald, me donne un compagnon de route.