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Rédemption.

par la bête qui m’enfonça un de ses sabots dans la poitrine. On me transporta sans connaissance à l’hôpital où je fus huit jours entre la vie et la mort. Enfin, des médecins me réchappèrent, mais je ne valais guère mieux que si j’eusse été mort. Une opération, qui me laissa la vie m’enleva cette force, toute ma fortune. Aujourd’hui, je suis aussi faible qu’un enfant.

Le vieillard que j’avais sauvé m’envoya à l’hôpital, dans un élan de reconnaissance, un billet de banque de cinq dollars que je refusai.

Depuis, j’ai vécu de mendicité et de horions. Je ne sais ni lire ni écrire. Comme j’ai l’air fort, quand je tends la main, on me ferme la porte au nez neuf fois sur dix. Souvent on me dit qu’il est honteux pour un homme bien portant de ne pas travailler et de vivre de mendicité.

Dimanche dernier, comme je n’avais pas assez d’argent pour paver mon entrée, on m’a retourné à la porte de l’église où j’allais entendre le saint sacrifice de la messe. Et moi qui croyais qu’une église était un endroit où les pauvres, tout comme les riches, pouvaient prier Dieu sans être obligés de payer leur admission comme dans une salle de spectacle.

J’ai subi deux condamnations de six mois de prison pour avoir mendié. C’est entre les quatre murs d’un cachot que j’ai passé mes plus belles heures. J’ai été tenté de mettre fin à mes jours, mais il faut que l’homme tienne beaucoup à la vie, puisque misérable comme je le suis, je n’ai pu me résoudre à me détruire.

Vous croirez peut-être que ceci n’est que de la fable pour vous apitoyer, vu que l’on cherche par tant de moyens à tromper les âmes charitables. Je n’en veux à personne, car, je le sais bien, il faut des riches et des pauvres, des heureux et des malheureux. Le monde est une loterie, et chacun a son lot, bon ou mauvais. Je sais qu’il y a des riches qui doivent leur fortune au hasard, d’autres qui ont mal acquis leurs ri-