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Rédemption.

où toute la gente masculine, enfin, se disputait ses sourires. Vingt fois vous vous trouviez sur son chemin, vingt fois elle vous narrait l’inénarrable roman de sa jeunesse, si vite écoulée, hélas ! Encore, si elle eût fait grâce des détails. Mais non, grand Dieu ! elle était, la chère femme, d’une prolixité désespérante. En l’entendant, on regardait instinctivement mademoiselle Dussault et l’on apercevait une grande fille sèche comme un hareng oublié sur une grève, à la peau parcheminée comme un testament perdu depuis des années dans les casiers d’un notaire. Et cependant, mademoiselle, comme madame, avait un faible pour sa propre personne.

— On dit qu’il ne boit même pas, ajouta madame Biais.

— Pas assez pour se griser et suffisamment pour ne pas poser en abstème, répondit un vieux médecin.

— Il ne joue pas ?

— Jamais.

— On dit même, intervint monsieur Dussault, impatient de faire montre d’esprit, qu’il n’a jamais baisé même le bout des doigts d’aucune femme.

— Ça viendra, reprit un avocat célibataire, un vieux beau que ces louanges agaçaient.

— Un jour ou l’autre, nous entendrons parler de son prochain mariage.

— Pour ça, non, affirma catégoriquement monsieur Biais. Ce jeune homme ne se mariera jamais.

— Ou’en savez-vous ? répliquèrent à la fois trois ou quatre mamans choquées de cette prophétie de mauvais augure.

Que Réginald Olivier fût opposé à l’idée du mariage, ce n’était un secret pour aucun de ses amis. Plus d’une fois il avait discuté cette question avec chaleur. Un certain nombre d’intimes, indépendamment des divers motifs qui le faisaient raisonner de la sorte, étaient au courant de la raison qui primait toutes les autres.