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Rédemption.

empressé auprès de moi, il témoigna une douleur si touchante, que ces marques d’affection, que je croyais dictées par le cœur, jointes à son physique agréable m’entraînèrent dans l’embûche préparée de longue main.

Et un soir, dans la chambre encore chaude de la mémoire de ma pauvre et chère tante, je succombai, cette fois-ci, volontairement.

D’ailleurs, bien qu’innocente, je me considérais déjà depuis l’accident du bazar, comme une fille déshonorée. Et je crois sincèrement aujourd’hui, que dès qu’une jeune fille a déchu, c’est une fatalité pour elle. Infailliblement, elle appartient de ce jour à ceux qui y mettent ou le prix ou l’adresse.

J’avais d’abord péché par accident, puis par découragement et faiblesse, il ne me restait plus qu’à pécher par nécessité.

Les affaires de ma tante avaient été mal administrées. Tous comptes faits, après les funérailles, il ne me revenait que quelques centaines de dollars. Ce maigre héritage fut bientôt épuisé. Un mois après ma liaison avec Yvon Lussier, ce dernier, déjà lassé de moi, m’abandonna sous le prétexte le plus futile, après m’avoir promis le mariage.

J’étais seule au monde, sans parents, sans ressources, sans amis sincères, avec une réputation entachée. En effet, le monde toujours à l’affût des moindres scandales, toujours plus prompt à ébruiter les mauvaises actions que les bonnes, m’avait condamnée de son verdict sans appel. L’affaire du bazar, puis ma liaison avec M. Lussier, avaient transpiré. Ces deux aventures si alléchantes pour le public se répandirent comme une tache d’huile.

Pourquoi l’homme qui commet une vilenie en souillant l’âme d’une jeune fille va-t-il s’en vanter comme d’une action glorieuse, alors qu’il devrait la cacher comme une lâcheté ?

La société me rejeta.