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Rédemption.

Mais, en retraitant, il avait lancé une flèche de Parthe :

— Je parie cinq contre un, dit-il, que le chaste, le vertueux, l’impeccable monsieur Olivier est de mon avis.

Tous, à ces paroles, dirigèrent leurs regards vers le piano, où un jeune homme tournait les pages d’une mazurka de Godard, tapotée par la plantureuse fille d’un médecin quelconque.

À vingt-cinq ans, Réginald Olivier, orphelin et fils unique d’un industriel dont les affaires avaient joliment prospéré, se trouvait seul dans le monde avec une petite fortune. Depuis un an qu’il s’était fait admettre au barreau, il n’avait pas encore franchi le seuil du palais de justice. Avant de se livrer au travail, il voulait étudier le monde sous ses différentes faces et voir comment il allait traiter avec lui. Beau garçon, de l’esprit à en revendre, le cœur sur la main, les mœurs d’un carme déchaussé, de l’argent, bref, il était ce que l’on est convenu d’appeler un bon parti, un excellent parti même, bien que ce fût un original et qu’il eût ses idées à lui. Aussi, avait-il fort à faire pour se garer des intrigues des bonnes mamans qui avaient des filles à marier et coûte que coûte voulaient les lui jeter à la tête.

— Quel charmant garçon ! soupira madame Dussault en baissant des regards maternels et attendris sur mademoiselle Dussault assise à quelques pas d’elle.

Madame Dussault n’était pas une méchante femme, non certes. Seulement, elle était ennuyeuse. Malheur à l’imprudent qui se laissait prendre et se voyait forcé de subir la torture de sa conversation. Pour se consoler de la position modeste de son mari, employé dans un bureau quelconque, et de ses charmes défunts, et de son ventre énorme que l’on voyait ballonner comme une outre gonflée de vin, madame Dussault aimait à raconter en détail cet heureux temps où elle était belle, où elle était svelte, où monsieur son père occupait une position officielle,