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Rédemption.

là ou l’eau du barachois se déverse dans la mer avec un courant si rapide, il avait aperçu une forme blanche. Il mit en abat-jour la main au-dessus de ses yeux, et, regarda attentivement. Puis, il descendit l’escarpement de la falaise jusqu’à cette forme blanche qu’il avait découverte de loin.

Un cri funèbre, strident, horrible retentit là-bas et tombe sur l’âme de Johnny Castilloux comme une masse. Il a compris. Il sait l’épouvantable vérité. Il voit la haute taille du jeune homme s’écrouler.

Plus de doute.

Johnny Castilloux, vieilli de dix ans, déboule dans la côte, trébuche, se déchire les genoux et les mains sur les roches, se relève et court, court…

Romaine, que la mer avait rejetée sur la grève, était couchée sur le dos, regardant le ciel. Son corsage entr’ouvert par le déferlement des vagues, et la chemise en lambeaux, étaient pudiquement voilés par les lourdes tresses défaites de sa chevelure d’or rouge. Sa figure avait gardé dans la mort un grand calme et une poignante beauté. Les lèvres à peine bleuies appelaient le suprême baiser de l’adoré. Par la tempe, rayée d’une coupure béante, le sang s’était échappé avec la vie. Une couche de sable recouvrait son corps à demi. À l’approche de la tempête, Romaine avait voulu, sans doute, regagner le rivage, mais poussée par le vent, elle n’avait pu diriger son doris à l’est du quai de la Compagnie Robin.

Le coup de vent avait dû la jeter violemment contre la falaise, où son doris avait chaviré. La blessure qu’elle portait à la tempe justifiait cette hypothèse. À quelques pieds plus loin gisait l’embarcation renversée.

Aucun de ceux qui étaient allés au secours de l’infortunée n’avaient fait attention à ce détail, tous étant sous l’impression que Romaine luttait au large contre la tempête.

Réginald, après avoir poussé le cri qui avait fait vieillir le vieux pêcheur, s’était affaissé sur le cadavre.