Page:Girard - Rédemption, 1906.djvu/100

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
98
Rédemption.

Avant de quitter Paspébiac, il désira aller se baigner une dernière fois. Dix minutes plus tard, on le vit descendre à droite du pont rouge. La mer était haute et de mauvaise humeur ; les vagues avaient envahi l’enfoncement de la falaise et la large roche plate où il se déshabillait à l’accoutumée. Jusqu’à la mer qui me repousse, remarqua-t-il, Hélas ! oui, il faut partir. Il se chercha une autre retraite. Il fut quinze minutes dans l’eau, glacée à cette heure matinale, éprouvant une sensation singulière dans le combat que se livraient le froid des vagues et la fièvre qui lui brûlait les sangs.

Il se rhabilla en frissonnant, mais au retour, il sentit une chaleur réconfortante couler dans ses membres, tandis que le soleil ardent séchait ses cheveux blanchis çà et là par le sel de la mer. Après le déjeuner, il solda sa note et demanda qu’on portât ses malles au débarcadère. En rougissant il pria la maîtresse de pension de faire parvenir à mademoiselle Castilloux elle-même, la lettre écrite la veille. Puis, à pas lents, la mort dans l’âme il se dirigea vers le quai. Arrivé au bocage Robin, il en franchit la barrière, aimant à suivre ce sentier couvert et ténébreux.

La fatalité, cependant, devait s’attacher à ses pas et ne le quitter jamais. Cinq minutes à peine après son départ, Romaine passait devant la pension Rinfret. Madame Rinfret se dit que la jeune fille ne pouvait tomber mieux. Elle l’appela du pas de la porte :

— Hé, la demoiselle, une écriture pour vous.

Romaine tressaillit. Avec le pressentiment aigu de la femme sensible, elle pensa à Réginald. Et lorsque l’infortunée eût lu son nom sur l’enveloppe, bien que ne connaissant pas l’écriture de son ami, elle fut certaine que cette lettre venait de lui.

Mais pourquoi ? Avant même de briser le cachet R.O. d’une main tremblante, toute l’horrible vérité apparut à ses yeux comme dans une vision.