déjà, tous les deux se fussent avoué leur amour.
C’est que cet amour avait germé dans leur cœur comme une fleur à la croissance hâtive et riche.
Il en est des amours comme des fleurs : les unes croissent lentement sur le bord du chemin au grand soleil, exposées à tout instant à être foulées aux pieds du passant, les autres germent rapidement et avec sécurité dans les profondeurs des solitudes où ne va jamais le pied de l’homme.
C’était la première fois que se rencontraient Oroboa et Giovanni. Néanmoins, l’Algonquine disait : « Si l’on nous surprenait ici, il nous arriverait malheur. » Comme si, par le fait qu’ils se parlaient en tête-à-tête, ce soir-là, dans ce jardin, ils commettaient un crime.
Ah ! c’est qu’ils s’aimaient, et que ce qui eût été inoffensif pour deux personnes indifférentes l’une à l’autre se changeait en faute contre la prudence, et en danger contre leur propre sécurité.
— Mais, reprit Giovanni, quel mal y a-t-il donc à ce que nous causions à cette heure, dans ce jardin ? Quand même on nous surprendrait, je ne sais pas trop ce qui pourrait nous arriver de regrettable. Et d’ailleurs, nous ne nous cachons pas.
— Quel mal ! s’écria l’Indienne. Ignorez-vous donc que Mademoiselle de Castelnay vous…
L’Algonquine n’osa compléter sa pensée.
Elle se taisait.
— Eh bien ? demanda Giovanni.
— Vous aime ? dit enfin Oroboa, d’une voix tremblante en baissant la tête.
Alors Giovanni ne put se contenir davantage.
Emporté par sa nature ardente et généreuse, il répondit avec une flamme dans les yeux :
— Ah ! que m’importe, puisque je ne l’aime pas, moi !
Oroboa tressaillit.
— Que m’importe, poursuivit-il avec transport, puisque c’est vous que j’aime, vous, Oroboa, qui avez enchanté mes regards au réveil de mon long évanouissement, vous que j’ai prise alors pour une divinité descendue du ciel pour m’y faire monter avec vous vers le Grand-Esprit.
La jeune Indienne, en entendant ces paroles brûlantes, trembla de tous ses membres.
Giovanni, pensa-t-elle, venait de prononcer son arrêt de mort à elle.
Et cependant, comment décrire la sensation de bonheur incomparable qui l’envahit à ces mots enflammés.
Giovanni l’aimait !…
Elle entendait gronder la tempête, elle voyait le ciel pur de son insouciance se couvrir de gros nuages noirs. Mais devait-elle s’en occuper puisque, dans son âme ravie, le soleil de l’amour se levait radieux et vainqueur.
Pour l’être qui aime, il n’y a pas de lendemain ; aujourd’hui seul existe.
Giovanni s’était rapproché.
— Je ne vous ai vue que de rares instants, continua-t-il, comme une apparition fugitive et insaisissable. Et cependant, je vous aime avec autant de passion et d’admiration que si je vous avais connue et adorée des siècles et des siècles.
J’ai tort, je le sais, de vous dire ces choses.
Ne suis-je pas un pauvre vagabond du monde qui vous suis complètement étranger, indifférent même, je le crains…
Au moment même où Giovanni prononçait ces paroles ardentes, Johanne de Castelnay souffrait un enfer en son âme meurtrie.
Elle allait sortir pour rejoindre Giovanni dans le jardin, quand elle avait vu le jeune homme parler à Oroboa. Piquée de curiosité et dévorée de jalousie, elle s’était dissimulée derrière un rideau.
La gorge sèche, les dents serrées, enfonçant ses ongles roses dans ses chairs blanches, elle suivait d’un œil fiévreux cette conversation dont elle devinait le sujet.
La femme qui aime est étrangement douée. Elle devient un être mystérieux. Sans les entendre, elle sait les paroles adressées par celui qu’elle aime à une rivale heureuse.
Un homme, à qui une femme est indifférente, ne parle pas comme Giovanni parlait à ce moment à l’Algonquine.
Rien que la manière dont il penche la tête en avant pour lire dans les yeux de la bien-aimée la réponse qui le rendra heureux ou mal-