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Et sa méditation, transportée dans les espaces sur les ailes de l’amour exalté, lui présentait l’Algonquine non plus sous les traits d’un être mortel, périssable, mais sous ceux d’une fantastique divinité.

Parfois, il s’en voulait presque d’être aussi follement épris d’une femme qui n’était pas de sa race, alors qu’il était poursuivi par l’amour de cette Française dont la souveraine beauté faisait tant de malheureux.

Mais sa passion pour l’Algonquine était, il le savait bien, supérieure à sa volonté.

On ne commande pas à l’amour, on le subit.

C’est un magnétiseur auquel nul ne résiste.

Une fois qu’il a jeté son dévolu sur un être, cet être n’a plus qu’à se soumettre. Il lui faut accepter toutes les lois qu’il plaît à l’amour de lui dicter.


DURA LEX SED LEX.

L’amour est un chérubin aux yeux d’azur et aux cheveux d’or qui, du soir au lendemain, devient un tyran impitoyable qui se nourrit du sang de ses victimes.

Giovanni regrettait maintenant d’être resté, car plus il tarderait, plus il lui en coûterait de partir.

Sa passion grandissait comme le vent qui précède la tempête.

Comment, désormais, pourrait-il se passer de la présence de l’Indienne ?

Et cependant, il ne la voyait qu’à de rares intervalles, comme une merveilleuse apparition.

Il était sûr, aujourd’hui, qu’il ne pouvait plus vivre sans elle.

Ah ! pourquoi n’était-il pas dans une position qui lui permît d’offrir sa vie à cette Algonquine adorable !

Alors, il n’attendrait pas un jour, une heure, une seconde. Il se jetterait à ses pieds, et lui donnerait son cœur.

Mais, hélas ! que pouvait-il, lui, le pauvre hère, l’enfant volé ?…

Savait-il comment il subviendrait même à ses propres besoins ?…

Son lot n’était pas gai.

Il ne se rappelait le bonheur que comme un rêve éphémère et impalpable.

C’était un fruit défendu dans lequel il n’avait guère eu le temps de mordre sans en savourer la douceur.

Soudain, Giovanni fit un pas en arrière et poussa un cri de surprise.

— Oroboa !

L’Indienne venait d’apparaître de la profondeur d’un massif d’arbustes.

Elle ne dit pas un mot, muette elle-même de stupeur.

Et tous deux se contemplaient en silence, comme deux êtres qui se seraient aimés de toute éternité sans ne se l’être jamais dit, ni s’être regardés de si près.

Giovanni porta la main à son chapeau.

Il allait saluer et passer outre, en commandant à son cœur de se taire.

Mais sa destinée, plus forte que sa volonté, devait s’accomplir.

S’inclinant avec grâce et respect, comme il l’eût fait devant une grande dame de Versailles, il dit, tête nue :

— Mademoiselle, le caprice des événements ou quelque autre ne m’ont jamais permis de faire votre connaissance. Permettez-moi, cependant, de vous dire tout le bien que je pense de vous.

Nature simple et naïve, âme neuve à la vie, l’Algonquine ne connaissait pas l’art de la dissimulation.

Enfant des bois, son cœur avait la limpidité et la spontanéité du ruisseau qui se promène en chantant dans les méandres de la forêt vierge.

Elle sourit ingénument. Ses petites dents blanches et régulières parurent comme deux rangs de perles immaculées dans un écrin de velours pourpre.

— Oh ! monsieur, répondit-elle avec effroi, en balbutiant, si l’on nous surprenait ici, il nous arriverait malheur.

Or, dans l’esprit d’Oroboa, c’était elle, c’était Johanne, c’était la rivale.

Ces deux êtres se parlaient pour la première fois.

Et cependant, Oroboa s’exprimait comme si l’un et l’autre se fussent connus depuis longtemps, comme si

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