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— Sales chiens, je vous crache à la face !

Cette fois, dix bras se levèrent pour frapper.

Arrêtez ! cria Bec-de-Vautour, d’une voix terrible. Cette squaw m’appartient. Le premier d’entre vous qui touchera à un cheveu de sa tête paiera cette audace de sa vie.

Tous, sur-le-champ, laissèrent retomber leurs armes, tandis qu’Oroboa, couchée sur le cadavre de son père, versait des torrents de larmes.

Les Iroquois se mettent, alors, à la poursuite du gros de la bande des Algonquins qu’ils ont bientôt rencontrés et surpris.

Comme la panthère bondit sur sa proie sans lui donner le temps de se reconnaître, ainsi l’Iroquois, avec un cri sinistre et retentissant, dont l’écho est répercuté dans la profondeur des bois et sur la nappe du Saint-Laurent, s’élance sur l’Algonquin.

Ceux qui font mine de se défendre sont impitoyablement massacrés, les autres chargés de liens.

Vers le même temps, les Anniehronnons qui marchaient au sud surprirent l’autre parti de chasseurs algonquins. Ces derniers, qui étaient pris dans un attirail de femmes, d’enfants, de bagages, de provisions de toutes sortes, étaient mal en état de se défendre.

Marie Taoutskaron, femme de Jean-Baptiste Tessouehat, le frère d’Oroboa, marchait une des dernières avec son enfant emmailloté sur son dos. Ayant tourné la tête, elle aperçut avec épouvante les Iroquois qui, bien qu’en nombre, allaient en silence sur la neige fondante et parmi les broussailles et les branchages, avec la légèreté de jeunes daims.

Un Algonquin, qui fermait l’arrière-garde, tombe sans un râle, sans une plainte, comme foudroyé. Il a reçu entre les deux épaules un coup de couteau qui a pénétré dans les chairs en brisant la colonne vertébrale.

— Vite ! vite ! courez prévenir nos gens de se mettre en défense, crie Marie Taoutskaron à Jean-Baptiste Tessouehat.

N’occupez-vous pas de moi.

Mais le valeureux Algonquin, qui était de la race fière d’Oroboa, fait face à l’ennemi. Protégeant sa femme et son enfant de son corps, il arme son bras d’un tomahawk, et attend l’attaque de l’Iroquois de pied ferme. Pas un muscle de son visage ne tressaillit. Son front est calme.

Son âme guerrière se reflète dans son regard.

D’un coup rapide et violent de son tomahawk, il ouvre le crâne du premier ennemi qui se présente à lui.

Mais il n’a pas encore retiré l’arme fumante de sang de la cervelle qu’il est enveloppé, assailli, terrassé.

Il tombe en attachant sur sa femme et son enfant des yeux lamentablement tristes que la mort a bientôt vitrés.

La mort de Jean-Baptiste Tessouehat laisse Oroboa seule survivante de sa famille. Personne ne la protégera désormais contre la barbarie ou les convoitises du vainqueur.

L’Iroquois, maintenant qu’il se voit découvert, a lancé son cri de guerre. L’Algonquin, qui a eu le temps de se mettre sur la défensive, grâce à l’héroïque dévouement de Jean-Baptiste Tessouehat, se bat avec toute la bravoure et la rage du désespoir.

L’ennemi est bien armé ; l’Algonquin est paralysé par l’embarras de femmes et d’enfants qui l’entourent. Plaintes et râles des blessés et des mourants, hurlements des combattants, pleurs et cris des femmes et des enfants, menaces et lamentations se confondent en une épouvantable cacophonie.

De part et d’autre, mais surtout du côté des Algonquins, il y a des tués et des blessés.

Et comme le soleil disparaît à l’horizon, derrière la ligne sombre des pins, ensanglantant de son disque le bleu fade du ciel, le combat cesse.

Les guerriers qui conservent encore assez de forces pour s’enfuir sont étroitement garrottés. Vieillards, femmes, enfants, incapables de marcher, sont achevés avec barbarie.

On broie, taille, brûle. Le plus doux des supplices est l’extraction des ongles.