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— Vous croyez, reprit-il flatté. Mais je ne pourrais servir d’aussi belle dame que vous. Et permettez-moi de vous féliciter de tout mon cœur d’avoir échappé à ce danger.

— Vous êtes bien bon, et je vous suis reconnaissante de votre témoignage de sympathie. Mais voici le gentilhomme qu’il faut féliciter, car sans lui…

Le bon et galant médecin, qui allait continuer ses protestations d’estime, se rappela l’objet de sa visite.

— Ah oui ! dit-il avec vivacité, en approchant du lit, voyons le blessé. Vous me l’aviez fait oublier par votre présence.

Johanne suivit le médecin jusqu’au chevet.

Penchée au-dessus du lit, retenant sa respiration, elle cherchait avec anxiété, à lire dans les yeux de l’homme de la science un arrêt de vie ou de mort.

Maintenant, le sourire du galant avait disparu des lèvres du docteur Grandpré pour faire place à un pli soucieux qui s’était dessiné sur son front.

Il enlève délicatement le bandage et demande de l’eau chaude pour laver le sang caillé qui s’est mêlé aux cheveux.

— J’y vais moi-même, dit Johanne avec un empressement qui laisse le docteur Grandpré tout perplexe.

Pourquoi ne sonne-t-elle pas Oroboa, se demande-t-il, tout en examinant avec soin la blessure de Giovanni.

Mais le médecin eut beau se creuser la tête, il ne trouva pas la solution à sa demande.

C’est qu’il était plus fort en science médicale qu’en psychologie. Il diagnostiquait mieux le mal physique qu’il ne démêlait les fils si mêlés de l’âme humaine.

Johanne remonta tout essoufflée, rouge comme un coquelicot.

Elle portait à la main une bassine aussi polie qu’un miroir, qui laissait échapper des nuages de vapeur. À son bras pendait une grande serviette de toile fine qui sentait bon, encore tout imprégnée de l’herbe fraîche où elle avait séché.

Le blessé, les yeux fiévreux tout grands ouverts et les joues pâles, se laissait panser sans mot dire.

Le médecin, après avoir examiné la plaie béante et baigné les cheveux sanglants, fit une grimace rien moins que rassurante.

Johanne, les sourcils arqués, le regard navré, suivait les moindres mouvements du docteur Grandpré.

Elle cherchait à surprendre les expressions successives qui se reflétaient sur la physionomie de celui qui représentait, à cette heure, le salut de l’homme qu’elle aimait.

Enfin, la figure du médecin s’éclaira d’un sourire qui ouvrait tout un ciel de bonheur à la jeune fille.

— Eh bien ! monsieur le docteur ? demanda-t-elle sans qu’elle osât achever.

— Soyez sans crainte, ma chère damoiselle, répondit-il avec assurance. L’intéressant malade vivra. Mais il lui faudra beaucoup de soins, de grands ménagements, et surtout, ajouta-t-il, avec un sourire significatif, pas d’émotions, pas d’émotions !…

Johanne ne dit rien, mais elle attacha sur Giovanni un de ces regards de femme qui sont tout un monde de bonheur pour l’homme dont le cœur n’appartient pas à une autre.

Comme ils allaient sortir de la chambre, tous deux s’aperçurent que le jeune homme s’était rendormi. Son pansement, sans doute, lui avait fait du bien.

Sa respiration était plus calme et il reposait avec tranquillité.

— Dans une heure, dit le docteur Grandpré, je vous enverrai des pilules. Vous en ferez prendre au blessé deux à toutes les trois heures. Je compte sur votre dévouement pour avoir bien soin de lui.

— Oh ! pour cela, s’écria Johanne avec transport, soyez sans inquiétude.

Une flamme intraductible avait lui dans ses yeux qui resplendirent comme un beau ciel de printemps.


IV

OROBOA

Remontons à trois mois antérieurement à l’arrivée de Giovanni à Québec, et transportons-nous aux Trois-Rivières.

Deux Hurons étaient allés à quatre ou cinq milles au nord de cette ville, pour en rapporter la chair d’un élan tué la veille. Malheureusement ils tombèrent dans une embuscade d’Iroquois, de la redoutable